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Eux, les étudiants sacrifiés

Dernière mise à jour : 19 avr. 2021

« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 » affirmait Emmanuel Macron, le 14 octobre dernier. Cours à distance, décrochage scolaire, liens sociaux et familiaux chamboulés, précarité financière... être étudiant en temps de pandémie est un véritable cauchemar. Nous leur avons donné la parole.


Manifestation étudiante dénonçant des conditions de travail inappropriées © Jeff Pachoud, AFP


"À dix-neuf ans, j’ai l’impression d’être morte. [...] Je n’ai plus de rêves. Tous mes projets s’écroulent les uns après les autres, au même rythme que mon moral décline" écrit Heïdi Soupault, étudiante à Science-Po Strasbourg, dans sa lettre ouverte au président de la République. Ces phrases résonnent et rendent compte de la situation étudiante hallucinante pendant la crise sanitaire.



Quand études rime avec solitude


Depuis le 29 octobre, date du deuxième confinement, certains de ces étudiants, sont toujours confinés, car les facultés sont fermées. Un contexte qui prolonge l’isolement et qui entretient, en conséquence, la précarité morale des jeunes. À noter qu’ils font partie des plus fragiles sur le plan psychologique. "Mon état psychologique se détermine surtout à une grande solitude, un isolement qui rendrait fou" nous confesse Kaya, étudiante en faculté de langues.


« L’isolement social est tellement dur à gérer mentalement »

confie Amelle, étudiante en biologie.



Dans une nouvelle enquête du 28 janvier 2021, l’entreprise de sondage Ipsos dévoile que 40% des jeunes font état d’un trouble anxieux généralisé, et que 30% avouent avoir déjà eu des idées suicidaires ou songé à se mutiler. Des données alarmantes qui font état des circonstances, comme en atteste les récentes tentatives de suicides d’un étudiant et d’une étudiante en résidences universitaires lyonnaises (France 3 Auvergne Rhône-Alpes).


« Je suis de moins en moins motivée, je pleure plus régulièrement. C’est anxiogène pour des personnes de 19 ans de ne pas avoir une vie normale de jeune »

Juliette, étudiante en psychologie.



Pour répondre à cette détresse, le président de la République a annoncé plusieurs mesures, dont la création d'un "chèque psy". "Tous les étudiants qui en expriment le besoin pourront suivre un parcours de soin adapté", a acquiescé la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Une mesure saluée par les principaux concernés tel que nous l’indique, Alex, un étudiant en psychologie : "Nous saluons tout de même les aides psychologiques mises en place".


Selon Axelle, étudiante en faculté de Lettres, "la raison de cette situation est les cours en distanciel".



Le raté des cours en distanciel : "La vie est une routine sans fin : ordinateur-frigo-toilettes-lit"


En juillet 2020, ce sont 84% des étudiants qui déclaraient, dans une enquête de Ipsos, que le premier confinement avait provoqué un décrochage dans leurs études. Un décrochage scolaire qui ne cesse de se confirmer. "Nos professeurs nous balancent des PDF en ligne. D’autres ne répondent pas à nos mails [...], ne veulent pas enregistrer les visioconférences et exigent une présence à chaque heure" se lamente Ella, étudiante en mathématiques et économie. Des conditions affligeantes qui s’accompagnent forcément d’une perte d’intérêt ainsi que d’un manque de concentration qu’Amelle rapporte : "Je me rends uniquement aux cours obligatoires, les travaux de groupes sont un véritable supplice, je me sens découragée, je n’ai plus aucun plaisir à étudier. Mentalement c’est vraiment très dur pour une première année d’étude, surtout lorsque l’on échoue et que personne ne nous aide à trouver une réelle alternative". "L'enseignement à distance n'est pas fait pour tout le monde. Certaines personnes ne sont pas au calme chez elles et sont donc facilement déconcentrées dans leur études", explique Luna qui effectue des études de médecine. Vivant avec sa mère, elle-même assistante maternelle, elle évoque "la possibilité de travailler à la Bibliothèque Universitaire" qui est selon elle, "une très bonne idée", de façon à échapper aux mauvaises conditions de travail dont la plupart doivent faire face.


« On en peut plus des cours à distance »

déclare Laura, étudiante en paramédical.



Ce ras le bol général s’entend, en partie, par l’impossibilité de changer d’air après les cours notamment dû au couvre-feu national fixé à 18h. Scotchés à leur ordinateur tout du long de la journée, pour cause de charge de travail supplémentaire à fournir, ils n’auraient plus le temps de sortir de chez eux avant l’extinction des feux afin de faire leurs courses ou de relâcher la pression en se promenant. C’est une des raisons pour laquelle la plupart d’entre eux demandent un retour en présentiel, une semaine sur deux, pour les Travaux Dirigés et les Cours Magistraux : "C’est le seul moyen pour que les jeunes se relèvent de cette épreuve" acquiesce Romane, actuellement en prépa Infirmier.


"Je me demande vers où va ma formation". Nolwenn, infirmière en devenir, nous raconte la réalité chaotique d’un de ses stages dans un service d’un CHU. Celui-ci s’est avéré être un cluster. Mauvaise surprise pour la jeune femme qui y a alors été contaminée, tout comme la plupart de ses collègues. "Les services sont débordés, les professionnels n’ont pas le temps de m’encadrer convenablement" déplore-t-elle.



Précarité financière : "Financièrement, c’est compliqué de payer un loyer qui ne me sert même plus"


En 2020, d’après une enquête d’OVE, 55% des étudiants rapportaient avoir rencontré des difficultés financières pour leurs dépenses alimentaires. Des scènes invraisemblables aux portes des banques alimentaires ont récemment été filmées puis diffusées sur les réseaux sociaux. On y constate des files à rallonge d’étudiants attendant de pouvoir trouver de quoi remplir leur frigo. Au sein de ces distributions alimentaires, des numéros de téléphone de psychologues sont fournis aux étudiants, que presque tous notent avant de sortir.


La queue devant l'Afges, association strasbourgeoise, pour la distribution de produits de première nécessité © Afges


Ce n’est que le 25 janvier 2021 que l’ensemble des étudiants ont pu bénéficier de deux repas par jour au tarif de 1 euro (soit 2 € pour 2 Menus). Un soulagement pour certains, qui se voyaient dans l’obligation de louper des repas pour payer le loyer, indispensable pour la sauvegarde de leur logement. D’autres sont retournés vivre chez leurs parents pour pallier à ce problème et à la solitude, laissant derrière eux leur petit appartement vacant. Cependant, "l’avenir de la nation" a le sentiment d’être sacrifié.



L’indignation des étudiants ghostés


Cette situation invivable a conduit de nombreux étudiants à exprimer leur mal-être sur les réseaux sociaux. Ayant le sentiment d’être invisible aux yeux du Gouvernement, ils se rassemblent autour du mouvement "Étudiants fantômes", porteur de leur appel à l’aide.


« Je sens que je deviens de plus en plus agacée de cette situation que l’on remet sur le dos des étudiants »

s’indigne Juliette, étudiante en psychologie.



Pour sensibiliser davantage, le mouvement s’invite désormais dans la rue. Des manifestations ont déjà eu lieu dans plusieurs villes de France sur les conditions des étudiants ainsi que sur la gestion du gouvernement de la pandémie de coronavirus dans les écoles et les facultés.


Étudiants mobilisés dans les rues de Limoges, le mardi 26 janvier © Stéphane Lefèvre


Malgré tout, une minorité indique ne pas être en difficulté que ce soit sur le plan scolaire, psychologique ou financier. Ils s’accommodent très facilement à l’enseignement à distance notamment grâce à de bonnes conditions favorisant la mise au travail. "Je vais bien", nous assure une étudiante en première année de médecine.

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